Le Centre International de Recherche sur la Cancer a classé l’aspartame parmi les substances possiblement cancérogènes, information largement reprise – souvent de manière alarmiste – dans les médias et sur les réseaux sociaux. Pourtant, les autorités sanitaires ont réaffirmé sa sécurité d’utilisation. Comment est-ce possible ?

Le point par Nicolas Guggenbühl, Expert Nutrition chez KAROTT’ et professeur de Nutrition et diététique à la Haute Ecole Léonard de Vinci.

L’aspartame est un édulcorant dit intense, sa saveur sucrée est environ 200 fois supérieure à celle du sucre. Cet édulcorant largement utilisé depuis une quarantaine d’années a souvent défrayé la chronique, et il circule bon nombre d’informations pseudoscientifiques à son sujet. Mi-juillet 2023, le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), organisme dépendant de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), a annoncé qu’il classait désormais l’aspartame dans la catégorie 2B, à savoir celle des substances « peut-être cancérogènes ». Simultanément, un autre organisme émanant de l’OMS et qui a la charge d’étudier les risques liés aux additifs alimentaires (le JECFA) a réaffirmé que l’utilisation de l’aspartame était sûre… De quoi en perdre son latin !

Différents niveaux de preuves
Pour comprendre ces deux messages apparemment contradictoires, il faut bien distinguer les rôles du CIRC de ceux du JECFA. Le CIRC évalue le potentiel cancérogène de toute substance, en fonction du niveau de preuves. Le groupe 2B dans lequel est désormais l’aspartame est celui avec le niveau de preuves le plus bas quant à son potentiel cancérogène, dans lequel on trouve aussi l’Aloe Vera et les légumes au vinaigre (pickled vegetables). Mais il n’en faut pas plus pour que le message « aspartame = cancérogène » circule un peu partout… D’autres substances alimentaires couramment consommées sont classées avec un niveau de preuves bien plus élevé par l’IARC. Ainsi, le groupe 2A liste les substances « probablement cancérogènes », parmi lesquelles il y a la viande rouge, les boissons bues très chaudes ou encore l’acrylamide, une substance qui abonde dans les frites et le café notamment. Quant au groupe 1, il désigne les substances qui ont été établies comme cancérogènes pour l’homme : on y trouve notamment l’alcool et les charcuteries.

Le danger ne fait pas le risque
Le CIRC évalue donc le caractère cancérogène d’une substance, c’est-à-dire un danger. Le JECFA, lui, est chargé d’évaluer les risques liés à la consommation d’additifs alimentaires (dont l’aspartame fait partie, c’est le E 951). Pour ce faire, il tient compte notamment des informations fournies par le CIRC, avec une différence importante : le JECFA évalue le risque, c’est-à-dire l’exposition au danger. Le risque dépend notamment d’un facteur clé : la dose. Une substance peut parfaitement être sans risque à une faible dose, et mortelle à une dose élevée. Pour chaque additif, les agences de sécurité alimentaires évaluent les risques, et n’autorisent un additif qu’à condition que sa consommation soit parfaitement sûre. Pour garantir cette sécurité, ces agences déterminent la quantité maximale de l’additif en question qui peut être consommée sans crainte tout au long de la vie. C’est ce qu’on appelle la Dose Journalière Admissible (DJA), qui s’exprime en mg par kilo de poids corporel et par jour.

Que devient l’aspartame dans le corps ?
L’aspartame ne pénètre pas tel quel dans la circulation sanguine. Lors de sa digestion, il est décomposé dans le tube digestif en trois composés : l’acide aspartique, la phénylalanine et le méthanol. Ces trois composés sont également apportés par une alimentation dépourvue d’aspartame. La seule vraie contre-indication à la consommation d’aspartame (et d’autres sources de l’acide aminé phénylalanine) est une maladie génétique rare appelée phénylcétonurie. Le fait que l’aspartame ne soit pas en mesure d’atteindre les tissus est un point important, puisque l’on peut difficilement expliquer par quel mécanisme il serait en mesure d’exercer un effet cancérigène. D’ailleurs, l’agence de sécurité alimentaire américaine, la Food and Drug Administration, a fait part de son désaccord avec les conclusions du CIRC. Et comme le JECFA, la FDA a réaffirmé que l’aspartame était sûr, dans le respect de la DJA. Même son de cloche du côté de l’agence de sécurité alimentaire européenne, l’EFSA, qui rappelle que la consommation d’aspartame reste très largement sous la DJA, même chez les grands consommateurs.

Fausses bonnes idées
Bien que l’aspartame soit donc bel et bien considéré comme sûr par les agences de sécurité alimentaire, son statut de « cancérogène possible » a de quoi effrayer. Nombreux sont celles et ceux qui cherchent une alternative, et se disent que finalement, mieux vaut encore consommer du sucre. Fausse bonne idée, car en excès, les sucres ajoutés sont clairement associés à de nombreux problèmes de santé, dont l’obésité et les maladies cardiovasculaires… Et qu’il s‘agisse de sucre de betterave raffiné, de sucre de canne non raffiné (rapadura), de sucre de coco, de sirop d’agave ou de céréales n’y change rien : tous font partie des sucres ajoutés qui sont à limiter.
L’aspartame, comme les autres édulcorants intenses, n’est pas essentiel dans une alimentation équilibrée. Et la seule boisson indispensable est l’eau. Mais dans la réalité, près de 1/3 des calories que nous consommons proviennent de denrées grasses et/ou sucrées qui ne sont pas essentielles, et réduire sa consommation de sucres ajoutés est un objectif souhaitable. Bref, si l’eau est un meilleur choix qu’une boisson light sans sucres à l’aspartame, cette boisson light reste un meilleur choix qu’une boisson contenant l’équivalent de 6 morceaux de sucre par canette…

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